Le Traversier, Revue Littéraire
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Deuxième prix 2014 : Yvonne Duparc pour "Drame de la jalousie"

Texte proposé par Yvonne Duparc

À partir du jour où je rencontrai Alice, ma vie fut remplie de tendresse et d’amour. J’allais être adopté par une famille. J’allais faire partie intégrante de la vie d’une femme qui aimait les livres et les chats, et maintenant elle m’aimait.
Alice écrivait, elle passait son temps dans la quiétude de cette pièce réservée au monde de l’écriture, un jardin dont elle avait gardé le secret, son bureau. Jusqu’à présent, elle avait partagé ce lieu protégé uniquement avec son compagnon à pattes de velours, lui qui n’était qu’un simple chat de gouttière, un européen d’origine imprécise, un sang mêlé, avait toutes les faveurs, tous les droits.
Un énorme bouquet de fleurs à la main, je débarquai dans sa vie, elle recevait sa famille, ses parents et ses enfants.
Sa maison était chaleureuse et joliment décorée et le jardin fleuri. Il fallait monter trois marches de pierres grises sous le perron pour entrer. Je dus enjamber le chat, qui, méfiant me scrutait de ses yeux ronds. Sa fourrure tressaillit.
Sa famille m’attendait là dans l’entrée où trônait un escalier de bois blond qui menait à l’étage. Ils étaient aussi intimidés que moi-même, peut-être plus.
« Qu’allaient-ils découvrir ?... Un Parisien ?...
 En province nous n’avons pas vraiment la cote. 
« Ces suffisants !... ces prétentieux !... ces forts en gueule !... ces m’as-tu-vu !... »
Nous sommes passés dans la pièce à vivre claire, lumineuse et décorée avec goût. Une impression de bien-être et de chaleur vous enveloppaient, atténuant le trouble de cette première rencontre.
Je les amusai avec mes histoires, je racontai mon enfance heureuse et mon adolescence dorée, là-bas dans notre belle Capitale.
Pendant le repas, le chat était rentré. Il avait fait le tour de la table, s’était approché de sa maîtresse, celle-ci s’était penchée pour le caresser mais d’une virevolte il avait esquivé son geste, il alla à la cuisine laper un peu d’eau dans son écuelle et revint sans un regard pour quiconque.
Il traversa, fier et altier, le living-room, emprunta l’escalier de bois blond et disparut dans les étages.
Le repas s’éternisait un peu, j’avais hâte de me retrouver seul avec elle, de la prendre dans mes bras et de lui faire l’amour. Ils durent le ressentir car ses parents et ses enfants se levèrent pour partir. Je crois que j’avais passé l’examen de passage sans difficultés auprès de sa famille.
Lorsque nous fûmes seuls, elle voulut me montrer le reste de sa maison. Mais, ce premier soir, nous ne découvrîmes qu’une chambre, la sienne que nous ne laissâmes qu’au petit matin.
Tout en montant le grand escalier de bois blond, j’essaimais la plupart de mes vêtements. Devant moi, sa démarche dansait (mes chaussures restèrent au pied des marches) elle portait une robe vert-tilleul, (ma cravate chuta) sans manches, (j’ôtai une chaussette), semée de petites fleurs (puis l’autre en équilibre sur les marches). Sa robe froufroutait sur ses jambes nues (ma veste fut crochée au dernier montant) et l’étoffe drapait ses hanches que je convoitais déjà (je déboutonnai ma chemise) le désir en moi… (je débouclai ma ceinture).
Le chat était couché sur le couvre-lit, pelotonné et ronronnant. Il ouvrit un œil, soupçonneux, circonspect, puis à regret, il ouvrit l’autre. Il se leva doucement, s’étira longuement, les pattes en avant et le dos arrondi, prenant son temps… nous narguant… me narguant de son attitude hautaine et de ses chatteries dédaigneuses.
Pendant ce temps, je m’acharnais sur les lèvres d’Alice, son cou, sa nuque puis ses seins, le chat était toujours là, spectateur et agacé. La robe vert-tilleul fut enlevée à la hâte et jetée, elle atterrit sur le chat qui ne bougea pas. C’était un tissu, léger, aérien, imprégné de l’odeur de sa maîtresse avec encore quelques fragrances de son parfum.
Pressés de notre étreinte, nous tombâmes sur le lit, manquant d’écraser le félin. Il fit un bond dans un feulement de désaccord et en crachant sa hargne, il dévala, comme une furie, l’escalier de bois blond.
Au matin, en redescendant, nous retrouvâmes, sur les marches, quelques vestiges de notre hâte à nous aimer et le chat, pelotonné et ronronnant sur le sofa. Il ouvrit un œil, le referma bien décidé à ne pas céder sa place, cette fois-ci. Mais là, je m’abstins de le déranger. Si j’avais passé l’examen de passage avec la famille, avec lui, ce n’était pas gagné. Il n’était guère prêt à partager sa maîtresse, encore moins son confort.
Le monde des félins m’était totalement inconnu, de ma vie, je n’avais « fréquenté » de chat.
Je ne savais rien des émotions animales. Un chat peut-il être jaloux comme un homme ?
Chez les chats, les émotions ont pour but de leur permettre de survivre et de s’adapter. Moi de mon côté, il fallait que je m’adapte également, que je fasse ma place dans ce foyer sans brusquer qui que ce soit, ni le félin ni cette femme sereine et gaie, aux prunelles de chat.
Après le petit déjeuner, pris, simplement, dans la cuisine sentant le café fumant et le pain grillé, la fenêtre ouverte sur le jardin, nous remontâmes dans les étages pour nous préparer.
Il fallut se rhabiller et récupérer les vêtements essaimés. Je retrouvai la veste, la chemise, les chaussettes mais la cravate demeura introuvable. Nous redescendîmes.
En bas, une odeur désagréable, entêtante, empestait l’espace mais nous finîmes de nous vêtir, enfin, Alice parce que moi, je cherchais toujours ma cravate. Quelques indices me permettaient de penser que le chat était pour quelque chose dans cette disparition. Des fils de soie sur le tapis, la ouate du matelassage peluchait sur le pavé, ces traces d’une cravate chèrement acquise nous emmenaient directement au couffin de cette bête sous l’escalier. Alice poussa un : Oh !... désolé et de surprise.
Moi, je crachai (comme le chat) un merde !... de stupeur.
Je ne voulus pas faire de vagues, après tout ce n’était qu’un accessoire de mode, mais quand même, je l’avais grassement payé !....
Des lambeaux de soie à la main, je cherchai, dans la maison, l’auteur de ce crime. Je retrouvai mon « futur ami » le chat, dans une pose élégante et noble, sur le bureau d’Alice devant un univers de livres. Il se léchait minutieusement le pelage, le derrière posé sur des feuillets manuscrits.
Dans le bureau d’Alice, il régnait en maître, il charmait sa solitude de soi-disant écrivain. Il est bien connu que tous les auteurs, les poètes, les scribouillards, qu’ils soient célèbres ou pas, aiment les chats.
Au fond de moi-même, j’étais un peu jaloux aussi de ce chat qui était aimé d’Alice. Cependant, aujourd’hui, ce vulgaire félin qui n’était ni un Persan, ni un Chartreux pas même un Abyssin galvaudait notre journée.
Alice enfila des sandales et moi je m’apprêtais à rechausser mes souliers que j’avais délaissés la veille au pied des marches. Alice, rouge de colère contre son animal, m’arrêta dans mon geste :
« Cette odeur !... Le chat !... » elle bafouillait de honte, elle déglutit avec difficulté.
« Quoi, le chat ? » vociférai-je, n’ayant pas décelé sa gêne.
« Le chat !... il a uriné dans tes chaussures !... » avoua-t-elle penaude.
« Quoi !... » je m étranglai de rage.
« Il est jaloux !... Il a uriné dans tes mocassins !... »
Elle émit un petit rire qui se cassa net devant mon air ébaubi.
L’humeur me prit à la gorge, j’étais furieux : la cravate, les souliers, c’en était trop ! Je n’étais pas prêt à me laisser faire. Il fallait que je me montre, il fallait que ce maudit félin comprenne qui allait être le Maître dorénavant, il fallait que je frappe fort. Au Moyen-âge, pour moins que cela, on l’aurait brûlé vif pour sorcellerie, ce suppôt de Satan !...
Comme une furie, (il avait bafoué mon amour-propre, il m’avait ridiculisé), j’attrapai mes chaussures que je lançai sur ce bâtard arrogant et manipulateur. Il sortit de la maison à la vitesse de l’éclair tout en crachant des « psitt … psitt… » coléreux.
Et, sous le regard médusé d’Alice, et, trucidant des yeux ce démon qui s’était réfugié dans un arbre du jardin, je jetai le couffin du « Jaloux » sur la pelouse … et je pissai dessus.

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